Ses produits racontent sa passion, sa détermination. Et puis, il y a son parcours : une femme de la finance devenue artisane de la finesse. Nathalie Nkoulou dirige MbiOulou. Elle crée des pièces uniques, en cuir patiné, matinées de son amour pour le continent africain, pour son pays, le Cameroun. Voici le détail de son expérience, les voix de ses exigences, une idée d’un cheminement empreint d’humilité, quelques conseils utiles aux entrepreneures, pour aujourd’hui et pour plus tard. Au moment où nous terminons nos échanges en vue de la parution de cet article, elle reçoit une certification » luxe » du groupe LVMH. « Il ne s’agit pas de travailler en Europe » indique-t-elle « mais de créer du luxe d’ici, de prouver que c’est possible, de créer mon propre chemin « .
« Tout le monde ne peut pas voir les rêves de la même façon » *
Bonjour Nathalie. Si tu devais te présenter en trois mots, lesquels choisirais-tu ?
Une modeste artisane
Quelle femme es-tu ?
Je suis une femme ordinaire, qui vit une vie ordinaire. Une femme qui lutte pour ses valeurs, pour l’égalité des genres et des chances, une femme qui s’est fixée un but et qui se bat pour l’atteindre.
« Les gens cèdent à la fascination des tableaux et des mots et ils oublient le langage du monde « *
Comment passe-t-on d’une école d’affaire à l’artisanat d’art ?
On ne passe pas de l’un à l’autre. L’artisanat et l’art en général ont toujours fait partie de ma vie. Depuis toute petite, j’ai eu cette passion pour les travaux manuels et artistiques. Je m’essayais à tout ce qui me plaisait, de la peinture au dessin, à la couture, la sculpture, au travail du bois, etc. Pour tout vous dire, j’ai fait mon école de commerce dans le but profond de créer mon entreprise parce que j’ai toujours su que je ne voudrais travailler pour personne (trop indépendante, trop libre, on dira même un peu rebelle). Ce n’était qu’une évidence pour moi de faire de ma passion mon métier finalement.

Comment et pourquoi part-on de la Suisse vers le Cameroun ?
Déjà parce que ma famille me manquait beaucoup. Le Cameroun aussi (même si je suis originaire des deux pays par mes parents, c’est au Cameroun que j’ai passé mon enfance et y ai gardé de profondes attaches). Ensuite, parce que c’était plus gratifiant pour moi d’apporter ma modeste contribution au développement de mon pays et de l’Afrique en général.
« Mais alors si vous savez lire, pourquoi n’êtes-vous donc qu’un berger ?Le jeune homme se déroba, pour n’avoir pas à répondre à cette question. Il était bien sûr que la jeune fille ne pourrait pas comprendre « *
Que signifie le nom de ta marque, MbiOulou ?
MbiOulou n’a aucune signification particulière. C’est la contraction de deux noms. Mais j’ai appris il n’y a pas longtemps qu’en langue Baka (tribu pygmée) ça signifiait « enfant têtu » ?…sans commentaire !




Pourquoi la maroquinerie ?
Alors c’est une longue histoire mais en même temps très courte.
Un jour (toujours dans mes élans artistiques), j’ai fait le pari avec un ami que je pourrais lui confectionner une sacoche en cuir, une matière que je n’avais jamais travaillée – J’avoue aussi lui avoir fait la remarque que la sienne n’était pas très belle – Je me suis renseignée et ai acheté le matériel qu’il fallait, je l’ai fabriquée et il l’a adorée! Et moi aussi! Pas mon travail , mais le travail du cuir. Je suis littéralement tombée amoureuse de cette noble matière et je n’ai plus jamais arrêté. Je lui ai fait un portefeuille et, de fil en aiguille, d’autres objets qui ont plus à de plus en plus de personnes autour de moi.
» Les choses simples sont les plus extraordinaires. Seuls les savants parviennent à les voir » *
D’où vient ce cuir que tu travailles ? Comment t’assures-tu qu’il soit écologique, équitable ?
Le cuir utilisé provient à 80% du nord Cameroun, d’artisans locaux indépendants que je connais donc la traçabilité est complètement transparente. Le reste, qui n’est pas disponible sur le marché local, provient du Maroc, toujours d’artisans locaux. Dans les deux cas, je m’assure qu’il soit à tannage végétal et, bien sur, issu d’un commerce équitable. Je mets un poing d’honneur à respecter au maximum les critères de développement durable. Ils me tiennent à cœur et ceci dans tous les aspects. Étant moi-même conceptrice, créatrice et artisane, je maîtrise ainsi toutes les étapes de la chaîne de production, ce qui rend les choses plus faciles en terme de transparence, de maîtrise et de connaissance de mes ressources.





Chaque modèle est unique, ajustable à la demande. Chaque client.e est donc privilégié.e. Nous sommes à l’inverse de la mode rapide. Pourquoi ce modèle ? Comment s’est-il imposé à toi ?
Cela a été fait de manière très naturelle, en cohérence avec mon business model et ma volonté d’être une entreprise responsable. Je ne produis que ce que je vends, pour ne pas faire de gâchis. Ma priorité n’est pas la quantité produite mais la durabilité de mes articles : plus ils sont conçus avec des matériaux de bonne qualité, plus ils seront durables, moins il y aura de gaspillage de matière. Plus le client sera impliqué dans sa conception, plus l’article sera à son goût et personnalisé, plus il y sera attaché et aura du mal à s’en défaire. Un article en cuir de bonne qualité peut durer toute une vie.




Qu’est-ce qui, selon toi Nathalie, est la marque d’une bonne entrepreneuse ?
Une bonne entrepreneuse doit avant tout être humble, pour pouvoir accuser les échecs et moments difficiles. Elle doit savoir qu’elle ne sait pas tout, qu’elle a beaucoup à apprendre à titre personnel mais aussi des autres. Déterminée, parce que rien ni personne ne peut arrêter une personne déterminée. Passionnée. En étant passionnée, on fait ce qu’on aime et on le fait bien tout en s’amusant. Intègre enfin, parce que « rien n’est plus sacré que l’intégrité de votre esprit.»

« Ton cœur est là où se trouve ton trésor. Et que ton trésor doit absolument être trouvé pour que tout ce que tu as découvert en chemin puisse avoir un sens « *
A quelques semaines de la fin de l’année 2021, quel bilan tires-tu ?
Je ne veux pas être de celle qui font miroiter les autres donc je serai très honnête: ça a été une année particulièrement difficile. J’ai eu le « malheur » de m’ouvrir au public juste au début de la pandémie et, face à un succès fulgurant de la marque je n’ai pas pu satisfaire ma clientèle. Plusieurs fournisseurs ont fermé. Certains ont même fait faillite. Les prix ont augmenté, le transport ralenti et je me suis retrouvée avec un grand nombre de commandes que je n’ai pas pu honorer, faute de matériel et d’augmentation des coûts. Dieu merci tout est rentré dans l’ordre à présent.
Comment envisages-tu l’année 2022 à venir ?
Ma priorité sera la satisfaction de mes clients et la mise en place d’un service d’une qualité irréprochable. J’ai l’intention de m’agrandir, de grandir aussi, encore et toujours.
Mais surtout, et ça me tient vraiment à cœur, commencer ce projet de centre de formation pour transmettre mon savoir et mon expérience en toute humilité, à toutes celles et ceux désireux d’apprendre ou de se perfectionner dans ce domaine. Je reçois énormément de demandes de partout en Afrique et je ne suis pas là pour avancer en égoïste, j’aimerais qu’on avance tous ensemble pour une Afrique qui gagne.
« Je cherche un trésor « *


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