Chrystelle Mérabli est co-fondatrice de la galerie Krystel Ann art. Créée « en 2016 et implantée à Londres et au Portugal, la galerie Krystel Ann Art est spécialisée dans la promotion de l’art caribéen (…) Elle offre une visibilité aux artistes Afro-descendants, issus du métissage de l’Afrique, de l’Europe et des Amériques, tout en restant ouverte aux artistes contemporains d’autres origines, Philippe Pasqua ou Banksy notamment. L’originalité dans l’expression et la sensibilité dans l’esthétique sont au cœur de sa sélection. Sa volonté est de diffuser les cultures particulières sur les cinq continents » (Keyza Nubret, chargée de communication). Galeriste issue de la Finance, Chrystelle croit qu’il faut travailler dur et rêver beaucoup. D’un monde à l’autre, dit-elle, l’imagination est toujours un atout.
Le point de départ de cette aventure est, d’une part, la passion que mon mari, Olivier Tharsis, et moi avons pour nos origines multiculturelles, d’autre part, l’envie d’aider les artistes à accroître leur visibilité, ce qui reste compliquer dans nos territoires insulaires. Nous avons dû créer un engouement, une demande de la part du public qui, en général, considère notre art comme marginal.
Si tu devais te définir en trois mots, lesquels serait-ce ?
Je dirais… détermination, curiosité, perfectionnisme.
Tu es co-créatrice de la Galerie Krystel Ann Art. Krystel est ton prénom mais que signifie Ann ?
Krystel Ann est une combinaison de mes deux prénoms. J’ai créé Krystel Ann Properties en 2011. J’ai repris le même principe pour l’art cinq plus tard.
Il n’existait pas de galerie spécialisée en arts caribéens de cette envergure, à ma connaissance. Tout du moins pour l’espace Caraïbe francophone. Est-ce là le point de départ du projet : combler un vide d’autant plus flagrant qu’y travaillent des artistes, qu’y naissent et s’y développent des courants artistiques ?
Le point de départ de cette aventure est, d’une part, la passion que mon mari, Olivier Tharsis, et moi avons pour nos origines multiculturelles, d’autre part, l’envie d’aider les artistes à accroître leur visibilité, ce qui reste compliquer dans nos territoires insulaires. Nous avons dû créer un engouement, une demande de la part du public qui, en général, considère notre art comme marginal.
Nous investissons beaucoup pour changer le regard porté sur nos artistes, en les présentant là où ils ne sont pas attendus. Entre 2019 et 2021, nous avons présenté quatre artistes à Venise en marge de la Biennale d’art et d’architecture.

Nous investissons beaucoup pour changer le regard porté sur nos artistes, en les présentant là où ils ne sont pas attendus. Nous avons notamment présenté quatre artistes à Venise en marge des Biennales d’art et d’architecture.
Quels ponts envisages-tu de créer avec les galeries caribéennes existantes, jamaïcaines, porto-ricaines, haïtiennes ou barbadiennes ?
Je suis doctorante en économie et politiques économiques de l’art contemporain. Mon mémoire de Master portait sur la croissance dans la Caraïbe par l’intensification des échanges régionaux. C’est donc tout naturellement que je crée des ponts, des collaborations entre les lieux, institutions privées et publiques de la Caraïbe, des Amériques et nos îles. Il y a une vraie industrie culturelle à mettre en place dans le bassin caribéen. Nous disposons d’une richesse culturelle hors norme.

Plusieurs projets de collaborations et d’échanges artistiques sont en cours, dans la Caraïbe mais aussi en Europe et en Amériques. Le dialogue entre les artistes est une condition indispensable à l’élargissement de notre marché, à l’évolution des pratiques, en vue d’une réflexion sur l’identité caribéenne. Miami est aujourd’hui l’épicentre de l’art caribéen. Nous travaillons donc à y inscrire une présence forte d’ici la fin de l’année.
Que sont les « Fun talks » ?
Les Fun Talks sont des discussions que nous organisons avec les artistes pour expliquer leurs pratiques et leur donner une visibilité complémentaire aux expositions. Il en existe plusieurs types : une série, personnelle, où les artistes de la galerie rencontrent un artiste d’une discipline de leur choix pour expliquer comment ils s’inspirent mutuellement. Dans une autre, la parole est donnée à des chercheurs de différentes disciplines qui gravitent autour de l’art. Cette série montre la nécessité de l’art comme outil de sensibilisation sur des sujets de société, une manière d’amorcer une réflexion commune sur notre patrimoine et nos valeurs.
Le dialogue entre les artistes est une condition indispensable à l’élargissement de notre marché, à l’évolution des pratiques, en vue d’une réflexion sur l’identité caribéenne.
Miami est aujourd’hui l’épicentre de l’art caribéen. Nous travaillons donc à y inscrire une présence forte d’ici la fin de l’année.
Quelle est cette singularité de l’art de la Caraïbe francophone que souhaite partager la galerie avec le monde ?
L’art de la Caraïbe francophone est un art militant, déconcertant parfois, qui repose sur un rapport particulier avec la France. Nos artistes sont souvent formés aux techniques des Beaux-arts. Très vite, ils acquièrent cette capacité unique à introduire leur multiculturalisme, leur vision du sacré, leur identité créole.
C’est un art qui refuse l’hégémonie de la pensée intellectuelle et appelle à repenser le monde dans une identité plurielle, plus ouverte, en reconstituant l’histoire de notre peuple. Si la Caraïbe est un ensemble de territoires dont l’histoire est liée au commerce triangulaire, les évolutions de cette histoire restent différentes d’îles en îles. C’est, en partie, ce qui fait la complexité et la beauté de nos sociétés.

Une galeriste parisienne expliquait récemment que l’Art n’est pas suffisamment perçu comme un investissement mais plutôt comme un luxe pire, une futilité. Est-ce ce que tu perçois du marché ? Est-ce une bonne chose que l’Art soit perçu comme un investissement ?
Le terme ‘investissement’ a plusieurs sens.
L’Art est un achat plaisir, un acte émotionnel avant tout. On achète une œuvre parce qu’elle nous touche, elle nous renvoie à une sensation. Cet investissement dans son bien-être, son lien a la création est un investissement souvent sous-estimé. Une œuvre nous survit. Elle fait partie des éléments que nous laissons aux générations futures pour décoder et comprendre l’Humanité. Depuis les peintures des grottes préhistoriques, l’art est une passerelle entre les êtres humains.
L’art spéculatif, est une réalité mais, contrairement à ce que l’on pense, il ne représente qu’une faible part de marché (environ 15%). S’il est vrai que la valeur de certaines œuvres et de certains artistes bat des records, même dans cet investissement il y a un attachement qui se crée entre le collectionneur et son œuvre. Je déconseille d’ailleurs d’investir dans un but uniquement spéculatif car, comme sur les autres marchés, la valeur d’un artiste à la mode, peu vite devenir nulle. Dans ce cas, il restera toujours le plaisir de posséder une œuvre belle et unique.
« L’art de la Caraïbe francophone est un art militant, déconcertant parfois, qui repose sur un rapport particulier avec la France. C’est un art qui refuse l’hégémonie de la pensée intellectuelle et appelle à repenser le monde dans une identité plurielle, plus ouverte, en reconstituant l’histoire de notre peuple ».
Enfin, il y a la défiscalisation.
En achetant des œuvres d’artistes, fort des conseils d’un ou d’une galeriste, on peut se faire plaisir, proposer une image différenciée et avant-gardiste à son environnement de travail, faire une économie d’impôt, tout cela en étoffant son patrimoine. C’est d’autant plus intéressant qu’après un certain temps, on peut récupérer l’œuvre pour son patrimoine personnel.
Quel.le.s artistes t’inspirent aujourd’hui, tant par leur approche du milieu que par leur travail ?
Il y en a plusieurs. Mais j’aimerais faire un clin d’œil particulier à Marielle Plaisir.
Être artiste, femme, mère et mener une carrière à l’international demande une rigueur et une discipline de fer. Marielle est un exemple pour les jeunes.
Faut-il nécessairement se faire un nom pour exister dans le monde de l’art ?
Un nom est indispensable. Banksy en est la preuve.
En tant que galerie, il faut évidemment forger son identité. Les collectionneurs avertis savent que la/le galeriste apporte sa valeur ajoutée au travail de l’artiste par son dévouement, le temps qu’elle/il consacre à l’accompagner dans son évolution, à présenter ses œuvres dans des lieux clés. La galerie sélectionne en fonction d’une vision, d’une esthétique mais aussi de la pertinence de l’œuvre avec la démarche de l’artiste.

Être artiste, femme, mère et mener une carrière à l’international demande une rigueur et une discipline de fer.
Marielle est un exemple pour les jeunes.
La tendance tend aujourd’hui vers le numérique (galeries numériques, NFT). Krystel Ann art a d’ailleurs récemment organisé une exposition de ce type. Est-ce positif, à craindre ou à penser ?
Une révolution est en marche. Les institutions en sont conscientes. Nous aussi.
L’outil numérique est un complément, une autre possibilité d’explorer l’Art. Lorsque l’on vit sur une île, exposer physiquement ses œuvres coûte cher. L’outil numérique permet de sensibiliser un public large, en s’affranchissant de ces coûts, ce qui constitue un avantage non négligeable. C’est également un moyen de rendre l’art moins élitiste, plus ouvert.
Il ne faut pas oublier que l’Art crée de la cohésion dans la société. Il doit donc rester accessible.
En ce qui concerne les NFT, le principe reste le même que les œuvres physiques. La rareté, l’émotion et la pertinence du discours restent les critères qui assureront ou non la survie des œuvres. Qu’une exposition soit numérique ou physique, la scénographie et la cohésion des œuvres exposées pour susciter l’émotion restent indispensables.
« En ce qui concerne les NFT, le principe reste le même que les œuvres physiques. La rareté, l’émotion et la pertinence du discours restent les critères qui assureront ou non la survie des œuvres ».
Le Portugal est une autre tendance. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous y installer ? Le croisement de populations du monde entier ? Pour s’accorder avec cette ambition de la galerie « de diffuser les cultures particulières sur les cinq continents » ?
Nous sommes arrivés au Portugal avant que le Pays ne devienne tendance, il y plus de dix ans. Ce fut une découverte coup de cœur.
Depuis, nous nous sommes rendus compte de la place centrale qu’a joué le Portugal dans le commerce triangulaire et donc dans notre histoire. Notre lien à ce territoire va au-delà de cet aspect parce que c’est une porte ouverte sur l’Afrique. La créolité est un concept qui s’applique aussi au monde lusophone, en particulier au Cap-Vert. Il existe ici des dialogues à entamer, un lien à reconstruire.
« Il y aura toujours des personnes pour penser que la réussite est un hasard. Il faut les ignorer. Rien n’arrive par hasard. Ce sont le courage et la détermination qui font la différence ».
Comment s’est négociée ta reconversion professionnelle, ce virage de la Finance à l’Art ? Comment l’a vécu ton entourage ?
J’avoue ne pas beaucoup m’arrêter sur ce que les autres estiment être le mieux pour moi. Je fais ce qu’il me plaît. La Finance et l’Art ne sont pas si éloignés. Dans les deux cas, il faut de l’imagination. Surtout, je connais nombre de financiers amateurs d’art. C’est l’un des rares hobby qui révèle pleinement leur personnalité. L’art affranchit des conventions.
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Faut-il craindre l’entrepreneuriat lorsque l’on est une femme notamment en période dite de crise ?
Pas du tout. Contrairement aux hommes, nous sommes multitâches !
Cela dit, être entrepreneuse avec de jeunes enfants est un défi. Surtout quand on pense à la manière dont la société s’empresse de nous mettre la pression sur notre supposée place dans le foyer. Il faut apprendre à se ménager, rester au clair avec soi-même. Si on veut s’occuper de ses enfants, il faut aménager son temps.

Si tu avais le super pouvoir de tout recommencer, quelles erreurs éviterais-tu ?
Il y a toujours des choses que l’on regrette, mais les erreurs font avancer. L’immobilisme tue. Si je devais donner un conseil à une jeune galeriste, ce serait de suivre son instinct pour choisir ses artistes : il ne trompe pas.
Il y aura toujours des personnes pour penser que la réussite est un hasard. Il faut les ignorer. Rien n’arrive par hasard. Ce sont le courage et la détermination qui font la différence.
Que souhaites-tu aujourd’hui ? En tant que mère ? En tant qu’entrepreneure ? En tant que femme ?
Je souhaite à mes enfants de se trouver, de s’accepter comme ils sont. L’Art nous aide à dialoguer, en famille, à développer de l’empathie les uns envers les autres, à nous interroger sur la société, sur l’avenir que nous voulons, pour nous et l’humanité.
En tant que femme, je continue de rêver d’une société inclusive et égalitaire. En tant qu’entrepreneure, j’espère pouvoir inspirer et ouvrir les portes encore fermées.
Une citation qui pilote quotidiennement ton action ?
A winner is a dreamer who never gives up de Nelson Mandela. Il faut du courage, de la résilience et la capacité de rêver pour toujours aller de l’avant.
Je souhaite à mes enfants de se trouver, de s’accepter comme ils sont (…) En tant que femme, je continue de rêver d’une société inclusive et égalitaire. En tant qu’entrepreneure, j’espère pouvoir inspirer et ouvrir les portes encore fermées.
Pour aller plus loin
Le lien vers le site Internet de la Galerie Krystel Ann Art
Des artistes de Guadeloupe et de Martinique exposent au Portugal
