#8mars – Réinventer l’amour – Fanny – Réapprendre à aimer en (maman) solo

Fanny, 43 ans, responsable d’un lieu d’accueil Enfant-Parent est une maman solo épanouie. Elle a connu des moments très durs, de ceux qui peuvent anéantir toute envie d’aimer : à treize ans, elle est agressée par un oncle. Elle y survit, trouve les ressources pour passer outre, rencontre le père de son fils. Douze ans plus tard, ils décident d’avoir un enfant. « C’était un vrai choix de couple, de famille. Il a été conçu dans l’amour de lui. Je n’étais pas amoureuse mais nous étions, nous sommes encore, très liés pour tout ce qui concerne l’éducation de notre fils ». Ils se séparent en bons termes, après dix-ans de vie commune. Alors, Fanny découvre son corps, la sensualité, une vie qu’elle centre autour du plaisir, des plaisirs simples de la vie, sa « recette contre la dépression ». La vie est faite de sphères, explique-t-elle, qu’il s’agit d’équilibrer pour soi, en fonction de soi, de celles et ceux qui comptent. « Tout cela est tellement banal… » répète-t-elle à longueur d’entrevue. Tout cela ne l’est pas tant. Qu’en pensez-vous ?

Il m’a fallu un long travail pour comprendre que je n’avais rien à me reprocher, aucune raison de culpabiliser.

Si tu devais te définir en trois mots, lesquels choisirais-tu ?

Franchement, je ne saurais pas dire. Je ne saurais pas me définir en trois mots. Sur cette question, je botte en touche. Quoique… Un désir très fort de vie.
Adolescente, je me souviens parfaitement m’être dit un jour que le bonheur, cela se décide. J’ai décidé que tout ce qui m’était arrivé ne m’empêcherait pas d’être heureuse. Le plaisir est devenu un des moteurs de ma vie. Même lorsqu’il n’est pas raisonnable. Je cours, à droite, à gauche – évidemment, je me suis calmée avec l’âge -, mais je me donne les moyens de vivre ce que j’ai envie de vivre.

Tu es responsable d’un espace d’accueil Enfant-parent. Quelles sont tes missions ?

Ma mission principale est de soutenir et d’accompagner la parentalité. Nous organisons des actions collectives, des rencontres, des groupes de paroles soit sur le quotidien soit sur des thématiques un peu plus lourdes. Les parents se réunissent pour partager leurs expériences. Nous proposons des actions individuelles aussi, pour dénouer les fils, tirer l’essentiel d’un mille feuille de problématiques afin de proposer des solutions spécifiques, adaptées. Nous proposons une garderie, pour permettre à celles et ceux qui le souhaitent de réaliser leurs projets d’insertion. Il y a enfin un segment loisirs familiaux. L’idée est de proposer du jardinage, du bricolage, de la créativité, des ateliers écolo, un accompagnement vers la culture, la nature.

Qu’entends-tu par « tout ce qui t’est arrivé » ?

Un événement incestueux d’un frère de mon père quand j’avais 13 ans.
Cela m’a beaucoup abîmée lorsque j’étais adolescente. Cet homme a toujours été un peu bizarre. On ne le voyait pas souvent. Il a repéré que je passais les mercredis après-midi seule à la maison. Un jour, il m’a appelée. Il a exprimé de manière très claire, très crue, ce qu’il voulait. J’ai coupé court à la conversation : ce n’était pas du tout adapté. Quelques temps plus tard, il s’est présenté à mon domicile. Je l’ai vu dans le judas mais j’ai ouvert la porte. Cela a été mon erreur. Il m’a fallu un long travail pour comprendre que je n’avais rien à me reprocher, aucune raison de culpabiliser.
Je me souviens d’une pionne au lycée, qui m’a recueillie dans un moment de profonde tristesse que j’avais théâtralisé, comme un appel au secours. Elle a pris rendez-vous avec le CMPP (Centre médico-psycho-pédagogique). J’y ai rencontré une psychologue formidable. Elle m’a beaucoup aidée. J’avais 17 ans.

Quelles suites ont été réservées à cet « événement » ? Quelles ont été les réactions de tes parents, de ta famille ?

L’omerta, l’absence de condamnation, malgré la plainte. Cela m’a profondément affectée.
Il y a même eu une tante, dont j’étais très proche, qui a tentée, par tous les moyens, de « réconcilier ma famille » avec cet oncle, en organisant des repas, de véritables guet-apens. Sa fille, qui était plus jeune que moi, en a été outrée. Je lui avais tout raconté. Pour la protéger.
Durant la thérapie, j’ai déposé une plainte. Il y avait prescription. Le procureur m’a signifié qu’il n’y avait pas assez d’éléments : il n’y avait pas eu pénétration. «Estimez-vous heureuse, m’a rétorquée l’avocate. J’ai des clientes qui tombent enceintes après avoir vécu ce que vous avez vécu ». J’ai eu le sentiment que des attouchements n’étaient rien, qu’elle me proposait de retourner jouer avec mes crottes de nez. Ma mère était présente. Elle s’est battue, dès le début. Sur ces mots, elle s’est levée, lui a envoyé une salve bien piquante, elle a renversé tout ce qui se trouvait sur son bureau et puis elle m’a dit : « Fanny, on s’en va ». Cela m’a fait beaucoup de bien. Longtemps après, nous avons reçu une lettre du procureur qui m’informait que d’autres jeunes filles de la ville où j’habitais avaient également porté plainte pour attouchements et comportements inadaptés, qu’il avait été convoqué mais que rien de concluant ne pouvait mener à une condamnation.

Cette réserve sur ton image, la crainte de montrer ton visage est un traumatisme hérité de cet « événement », n’est-ce pas ?

Très longtemps, cette idée est restée que si je n’avais pas ouvert la porte, j’aurai pu préserver mon intégrité, en restant à l’abri, dans l’appartement. Désormais, faire en entrer, donner à voir, me donner à voir, partager mon intimité est compliqué. Je ne suis pas du tout quelqu’un de réservé, de timide : je fais de la danse, je danse sur scène. Mon expérience, je veux en parler, ne pas en faire un tabou mais dans un cadre que je décide, dont j’ai la parfaite maîtrise. En parler sans savoir qui aura accès à cet article me trouble beaucoup. C’est, pour moi, une sorte de mise en danger.

Tu as rencontré le père de ton fils quelques années après ta thérapie. Pourquoi lui ? Comment s’est engagée cette relation ?

J’ai toujours plu à des hommes plus âgés que moi. Je suis grande. J’ai eu des formes très tôt. J’ai rarement eu des petits copains de mon âge. Cela a été compliqué à vivre. Je me trouvais repoussante. J’étais très sollicitée mais je ne comprenais pas pourquoi.
Après la thérapie, j’ai commencé à m’assumer. J’ai commencé la danse, vers 19/20 ans. Là, j’ai pu profiter du fait d’être désirable. J’en ai profité deux ou trois ans et puis j’ai rencontré le père de mon fils. On s’est très vite installé ensemble. Notre relation a duré dix-sept ans. C’est une personne que j’aime énormément, quelqu’un avec qui je partage beaucoup. On se ressemble. On a grandi ensemble. J’avais vingt-et-un ans, lui vingt-cinq ans, lorsque je l’ai connu. Il a été une personne extrêmement rassurante après ce que j’avais vécu. Nous avons été très heureux pendant une dizaine d’année. Nous étions de supers potes, avec des passions communes, des amis communs, de très belles années. Nous pensions que ce que j’avais vécu m’avait rendue frigide. Petit à petit, cela est devenu un problème.

As-tu des regrets ?

Je fais une différence claire entre l’amant, dangereux et l’homme qui peut prendre une place plus importante dans ma vie. Cela vient, je crois, de cette histoire autant que de mon histoire familiale, des appels à la prudence que l’on m’a répétés tout au long de mon enfance – « sois prudente », «  n’ai confiance en personne », « le désir est dangereux ». La famille me semblait être un lieu où l’on se sent protégée, d’où le sexe doit être absent. C’est ainsi que les choses étaient organisées dans ma tête. J’ai donc choisi, pour construire ma vie, un homme qui me rassurait, qui partageait ma vision. Ce rapport à la famille nous unissait. Il nous unit encore. Je ne regrette absolument rien.

De quelle nature sont vos relations, aujourd’hui ?

Nous vivons une parfaite coparentalité. Je ne me sens pas du tout seule dans l’éducation de mon fils. Elle est très coopérative. On ne s’affronte pas. Nos valeurs éducatives sont assez proches. Nous sommes aujourd’hui, plus encore, dans l’écoute de l’autre. Nous participons ensemble aux grands moments de sa vie. Nous fêtons les anniversaires importants avec nos deux familles. Lorsque j’ai des doutes, des questions, sur le vaccin, par exemple, sur le choix de l’école, j’ai besoin de son avis. Nous ne sommes pas toujours d’accord mais nous parvenons à nous entendre.

Je suis programmée, en tant que maman, pour protéger mon enfant, lui garantir les meilleures conditions de vie, d’épanouissement. J’échoue à le faire parce que, face aux deux dangers les plus grands auxquels il est exposé – sa maladie et le devenir de la planète, de ce monde dans lequel il grandit – je ne peux que reconnaître mon impuissance. C’est très angoissant.

Ton fils est atteint de RCH, une rectocolite hémorragique. La découverte de ce trouble t’a profondément choquée, « complètement anéantie », dis-tu. Quel est votre quotidien ? Comment « dépassez-vous l’impossible » pour reprendre tes mots ?

La RCH est une maladie auto-immune qui s’attaque au système digestif. Elle a été diagnostiqué lorsqu’il avait dix-huit mois. Cela a été très difficile. Cela l’est encore puisqu’il n’existe pas de traitement. Il est très médicamenté. Il répond bien mais c’est fluctuant : les traitements fonctionnent un temps et puis il faut mettre en place un nouveau protocole. Ses derniers résultats sont plutôt encourageants.
J’ai perdu une forme de légèreté, de jovialité face à sa maladie. Je suis programmée, en tant que maman, pour protéger mon enfant, lui garantir les meilleures conditions de vie, d’épanouissement. J’échoue à le faire parce que, face aux deux dangers les plus grands auxquels il est exposé – sa maladie et le devenir de la planète, de ce monde dans lequel il grandit – je ne peux que reconnaître mon impuissance. C’est très angoissant. Je refuse, cependant, que la maladie régisse nos vies.

Il existe toujours un champ pour embellir, pour créer du plaisir. Quand il est à l’hôpital, pour recevoir sa perfusion, qu’il doit y rester une journée, nous regardons des films à la chaîne. Je lui rappelle à quel point c’est exceptionnel de pouvoir faire cela en pleine semaine, tandis que les autres sont en classe. « Il y a des choses que tu ne peux pas faire ? Concentre-toi sur ce que tu peux et fais-le à fond ». Il y a des choses qu’il ne peut pas manger ? Nous avons inventé des recettes, pour qu’il puisse découvrir de nouvelles saveurs. Sa maladie reste quelque chose de très douloureux, une vraie cassure.

Nous vivons une parfaite coparentalité.
Je ne me sens pas du tout seule dans l’éducation de mon fils.
Elle est très coopérative.

Comment s’articule ta vie de femme, aujourd’hui ? Comment a-t-elle évolué après la séparation, après une si longue période de vie commune ?

Les cinq dernières années de mariage ont été compliquées. Un mois avant le divorce, j’ai rencontré quelqu’un, au boulot. Un homme plus jeune que moi. Je pensais que ce serait une aventure sans lendemain, une étape pour m’amuser, pour passer à autre chose. Mon fils avait cinq ans. Finalement, je suis restée six ans avec lui. C’est lui qui m’a éveillée à la sexualité, au désir. Il m’a éveillée en tant que femme, à l’acceptation de mon corps. Nous avons vécu une histoire complètement folle… et compliquée. Ses parents n’ont pas du tout accepté notre relation du fait que je sois plus vieille, que je sois maman. Je suis métisse franco-algérienne. Il est algérien. Qu’il engage sa vie avec une mère célibataire était insoutenable pour eux. C’était afficher ma non-virginité aux yeux de tous. Cela s’est terminé pour de mauvaises raisons. Il avait un fils. Notre histoire n’aurait pas été la même si nous n’avions pas été tous les deux des parents solos.

Il y a des moments dédiés à mon fils, ces moments pour prendre pleinement du plaisir ensemble. Il y a les semaines sans lui où je travaille plus, où je sors aussi, je vois mes amants, je fais des choses pour moi.

Tu fais, en effet, une différence très claire entre les hommes sans enfants et ceux qui ont. Pourquoi ?

Un homme qui a un, des enfants me rassure. C’est, à vrai dire, ce que je recherche pour une relation sérieuse. J’ai l’impression que ce sera moins problématique de partager mon temps avec mon fils. Les hommes sans enfant, c’est uniquement pour profiter sexuellement, m’éclater. Nous ne sommes pas là pour construire une histoire mais pour nous amuser : cela me convient, cela convient également à mes amants. Ce sont des plans cul, avec beaucoup de respect et de complicité. Ce sont de belles relations, sans attente. Pour construire quelque chose, dans l’exclusivité et le sentiment mutuel, ce sera plus facile avec quelqu’un qui a des enfants.

Quel est ton idéal amoureux ?

Une personne avec laquelle partager quelque chose de très particulier. Partager un appartement ou une maison, tout cela n’a de sens que lorsque tu veux fonder un foyer. Aujourd’hui, mon foyer est fondé. Mon fils est là. C’est ma merveille, mon trésor. Il y a ce cocon, forgé avec son père, pour l’élever dans les meilleurs conditions. Je ne cherche plus à créer un foyer, parce qu’il n’y a pas d’autre enfant à accueillir. J’espère plutôt une relation forte, très privilégiée, qui réunit sensualité, sexualité, épanouissement, complicité et soutien mutuelle, en ayant chacun sa vie, chacun son appart’, chacun ses expériences. Ce serait idéal.

Ton expérience est très éloignée des clichés. Tu sembles parfaitement en phase avec la monoparentalité, la coparentalité. Qu’est-ce que ton célibat a changé ?

Depuis que je suis séparée, ma vie me semble beaucoup plus équilibrée. Il y a différentes sphères dans la vie : personnelle, professionnelle, « ménagère », amoureuse, sexuelle. Je n’étais pas heureuse dans ma vie de couple parce que ces sphères étaient beaucoup trop déséquilibrées. Les sphères professionnelle et « ménagère » m’occupait beaucoup, malgré l’implication du père de mon fils. Des loisirs, je parvenais à en avoir. Les sphères amoureuse, sexuelle, personnelle n’étaient, par contre, pas du tout investies. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus épanouie. Il y a des moments dédiés à mon fils, ces moments pour prendre pleinement du plaisir ensemble. Il y a les semaines sans lui, où je travaille plus, je fais les courses, je sors, je vois mes amants, je fais des choses pour moi. Divorcer m’a permis de trouver un équilibre. Je n’ai pas l’impression de subir mon célibat.

Ce que je recherche ?
Une relation très forte, très privilégiée qui réunit sensualité, sexualité, épanouissement, complicité et soutien mutuelle, en ayant chacun sa vie, chacun son appart’, chacun ses expériences, ce serait idéal.

Quel part occupe ce groupe d’amies, dont tu parles souvent, dans cet équilibre que tu construis au quotidien ?

C’est un appui extrêmement important. Ce sont majoritairement des femmes. J’ai des amis hommes, avec lesquels j’entretiens de très bonnes relations, qui sont très présents, mais nous ne partageons pas la même complicité. Sans elles, je n’y serai pas parvenue. Je ne serais pas parvenue à gérer la maladie de mon fils. Je mesure, lorsque j’échange avec d’autres personnes, dans d’autres cadres, à quel point mon groupe d’amies est précieux : aucun mauvais esprit, que de la bienveillance. C’est très rare. C’est un pilier de ma vie, de mon équilibre. Mes parents et mon groupe d’amies sont vraiment les deux piliers qui me permettent de me sentir bien, en sécurité.

Comment résumerais-tu ce rapport au plaisir qui t’est fondamental depuis l’adolescence, ce « désir très fort de vie » ?

Je suis l’artisane de mon propre plaisir. Quoiqu’il arrive, quelle que soit la situation, le choix nous appartient. Plus les plaisirs sont simples, mieux ils seront satisfaits. Un dimanche à bouquiner, à regarder une série, du jardinage, un moment avec les copines, une marche en forêt : il me faut plusieurs de ces moments-là, chaque semaine. Alors, je m’organise pour en avoir autant que nécessaire. Chaque fois qu’une bonne chose arrive, je la prends, j’en profite. C’est comme cela que j’éloigne la dépression. Entreprendre, vivre, avancer, en me faisant plaisir.

Quelle est, selon toi, la plus belle expression de l’amour ?

L’amour maternel, l’amour pour mon fils. Il est ma quête. Il n’y a rien au-dessus. La plus belle expression de l’amour est l’amour parental. Pour l’amour « amoureux », la plus belle expression, c’est l’exclusivité, ce lien unique entre deux personnes. Être la personne dont l’autre a besoin pour traverser les épreuves. Être cette personne, nécessaire à son équilibre, elle est là, selon moi, la plus belle expression de l’amour.

Je suis l’artisane de mon propre plaisir.
Quoiqu’il arrive, quelque soit la situation, le choix nous appartient.
Plus tes plaisirs son simples, mieux ils seront satisfaits.

fanny - Réinventer- l'amour- vivre - depasser - l'adversité - femme -capitaines
Fanny, un peu…

Un commentaire Ajouter un commentaire

Laisser un commentaire