Sa phrase fétiche était : « je vis pour l’amour et la liberté ». Elle aurait eu 36 ans, cette année. Elle a été assassinée dans sa voiture, dans la nuit du 29 au 30 juin 2021. Le crime n’a, jusqu’ici, pas été élucidé. Elle s’appelait Marie Antoinette Duclaire, sociologue, journaliste, militante, féministe, Haïtienne. Deux ans plus tard, nous lui rendons hommage dans l’exposition Éphémère #2 – Idéal féminin qui débutera le 29 juin, à la librairie Calypso, Paris. Marie Murielle Morné, son amie, comme elle féministe, activiste, militante, la raconte. Un récit pour montrer une autre facette de l’engagement de la jeunesse haïtienne, aujourd’hui.
« La vie doit être excitante »
Si vous deviez décrire Marie-Antoinette – Netty – Duclaire en trois mots, lesquels choisiriez-vous et pourquoi ?
Trois mots ? Pour Netty ? Vivacité, ténacité, spontanéité.
Comment s’est tracée la voie vers l’engagement ?
Je crois que l’engagement était une affaire de famille chez elle.
Elle tenait premièrement de sa mère, une femme qui a toujours été très active dans sa communauté. Sa sœur aînée, Claudine Duclaire, était membre d’organisation féministe. C’est dans ce milieu que je l’aie rencontrée pour la première fois. Netty était étudiante à la faculté d’ethnologie, une des entités de l’université d’état d’Haïti qui a une pratique militante, où les étudiant.e.s revendiquent toujours leurs droits face aux absences de l’état…
Tout son parcours et son environnement ne faisaient que l’inciter à participer. Elle avait une flamme qui brûlait en elle, la poussant à être toujours active.
Nous devons nous organiser pour nous sortir de cette situation.
On ne nous en fera pas cadeau. Nous n’avons pas agi suffisamment ni suffisamment tôt pour ne pas en arriver là.Aujourd’hui, il est temps d’agir ensemble contre l’affairisme qui gangrène notre pays, de décider ensemble du pays que nous voulons.
Marie-Antoinette Duclaire
Comment, sur le terrain, était vécu cet engagement, celui d’une femme, féministe pour la transformation politique et sociale de son pays ?
Elle faisait partie d’un mouvement politique. En tant que journaliste aussi, elle animait une émission, prenait publiquement la parole pour de revendications de toutes sortes. Elle était aussi membre d’un regroupement de journalistes femmes et coordonnatrice d’un journal en ligne avec son ami Diego qui est parti avec elle, cette nuit-là. Elle était impliquée dans sa communauté d’origine, à Chantal et aux Cayes, dans le sud.
Netty avait une forte présence sociale, elle faisait en sorte d’être partout où les revendications étaient de mise. On la voyait dans les premiers rangs lors des manifestations de revendications politiques.

Comment cet engagement impactait-il sa vie personnelle, ses relations avec les autres, femmes et hommes ? Comment était-il perçu par sa famille ?
Même si elle n’était pas l’aînée, Netty était une voix entendue dans famille, dans ses cercles d’ami.e.s. Elle était très sociable, ce qui fait qu’elle était toujours entourée. Elle ne ratait pas l’occasion de servir la traditionnelle soupe de l’indépendance chez elle, le 1er janvier.
Elle savait encourager le monde autour d’elle. Elle croyait en sa capacité à rassembler les gens tant qu’elle réunissait aussi des ami.e.s chez elle pour des discussions de toutes sortes. Elle avait tellement de projets à réaliser…
« Elle a fait don de sa personne pour une cause, pour son pays. Parfois, elle s’énervait quand on lui disait de laisser Haïti pour un petit bout de temps. Elle ajoutait qu’elle ne quitterait pas Haïti même pour tout l’or du monde. Elle croyait profondément et passionnément dans cette nouvelle Haïti »
Témoignage de sa sœur, Claudine Duclaire, pour Gazette Haïti news
Que savez-vous de ce qu’il s’est passé dans la nuit du 29 au 30 juin 2021 ?
Cette nuit-là, je sais qu’elle rentrait chez elle en déposant Diego quand ils ont été tous deux criblés de balles. J’ai appris la nouvelle au matin vers 6h. J’étais totalement pétrifiée à cette annonce. J’avais du mal à y croire. On était ensemble, la veille.

Où en est l’enquête, aujourd’hui ? Est-il possible de la mener sereinement ?
Je ne sais pas à quel point en est l’enquête à ce jour.
J’espère que la vérité éclatera, qu’elle et Diego trouveront justice, enfin.
En Haïti, on ne peut pas dire que ce genre d’enquête puisse être menée avec sérénité tant il peut y avoir des rebondissements.
Il s’agit pour les femmes d’avoir leur place dans les espaces de décision, de participer à tous les niveaux, d’avoir une voix. C’était le discours et les actions qui l’animaient.
Où vivez-vous, Marie Murielle ? Comment la situation sociale, politique, économique, évolue-t-elle en Haïti ?
Je vis encore en Haïti.
La situation est volatile tant la crise s’est aggravée en tout point. La sécurité est un point crucial à l’ordre du jour. La population a terriblement peur par rapport aux activités des groupes armés entourant la capitale et rançonnant les citoyen.ne.s qu’ils kidnappent, tabassent et violent, etc.
Beaucoup de femmes, de tout âge, sont victimes de viols collectifs dans la plus grande humiliation. La vie a perdu de son goût. Les politiques ne réagissent pas aux problèmes et l’économique n’est pas mieux que la vie sociale pratiquement inexistante, tant les produits de première nécessité ont considérablement augmenté par rapport au prix de l’essence. La gourde est à genoux face au dollar américain.
A bout de souffle, beaucoup de mes compatriotes laissent le pays en masse en profitant du programme humanitaire américain. Tout est prétexte à laisser le pays. On étouffe ici.

Haïti semble esseulée, aux prises avec de graves problèmes de voisinage : l’influence, majeure, de son voisin américain, l’isolement d’avec ses voisins caribéens. N’est-ce qu’une vue de l’esprit ?
Dans la crise qu’elle vit actuellement, Haïti est isolée. C’est une crise globale, systémique et structurelle. Crise d’identité, de mémoire. Elle est bien réelle et remet en question la définition de l’être haïtien.
Je pense qu’elle est l’occasion pour nous de comprendre que la solution au problème d’Haïti est haïtienne. C’est à nous de la fabriquer, tôt ou tard.
Quel vous semble l’héritage, le(s) leg(s) de Marie Antoinette Duclaire ?
Il s’agit pour les femmes d’avoir leur place dans les espaces de décision, de participer à tous les niveaux, d’avoir une voix. C’était le discours et les actions qui l’animaient.
Quel est votre définition du bonheur ?
Pour moi, le bonheur est de pouvoir vivre avec allégresse chaque moment, sachant que la minute suivante ne nous appartient pas. Il ne va pas sans le bien-être dans son corps, son esprit et dans son âme.
Le bonheur est politique, économique, social et culturel.
Et au lieu de nous apeurer, demain devrait être une source d’excitation face à tout ce que l’on entend construire, soit personnellement, collectivement et même avec la perspective d’héritage aux plus jeunes.
Au lieu de nous apeurer, demain devrait être une source d’excitation face à tout ce que l’on entend construire, soit personnellement, collectivement et même avec la perspective d’héritage aux plus jeunes.


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