Claude – Plonger dans l’univers tumultueux des «michetonneuses»

Comme l’a dit Vivian, l’une des prostituées les plus célèbres de l’Histoire, héroïne du film Pretty woman, tout ne tient qu’à un « détail géographique ». Durant l’entrevue, le glamour a toujours précédé la chute: fractures, cassures, violences familiales, brutalités, contraintes, mésestime de soi et cercles vicieux… Qui sont ces « michetos' » ? Est-ce une histoire de milieu ? Existe-t-il un point commun entre ces jeunes filles, ces jeunes femmes ? Comment s’en sortent-elles lorsqu’elles le décident ? Entretien avec Claude Giordanella, infirmière scolaire, sexologue spécialiste.

Beau quartier, beau lycée. Elle jouait de la harpe, au tennis et se prostituait. Elle a vécu un traumatisme avec son premier petit copain qui l’a obligée. Elle s’est sentie complétement dépossédée d’elle-même. Elle a donc continué de se prostituer, en conservant un espèce de distance.

Quel est le profil de la michetonneuse ?

Au départ pour moi, il s’agissait de jeunes femmes inscrites dans un rapport de séduction. Je vois principalement des mineures. Elles ont 14-15 ans.  La plus jeune avait 12 ans. Elle était en cinquième. Elle manquait les cours. Nous avons cherché à savoir pourquoi. Les passes devenaient trop nombreuses pour concilier les deux. Ces jeunes filles sont souvent sous l’emprise de mecs ou de copines. 100% ont vécu un traumatisme, comme un carambolage, dont elles ne parlent pas spontanément, dans la petite enfance, l’enfance, la pré-adolescence. Tout ce qu’elle font s’inscrit dans une stratégie de survie. Elles sont cabossées, blessées. Leur corps ne leur appartient plus. Alors elles le vendent.

De quels traumatismes s’agit-il ?

Aujourd’hui encore, j’ai rencontré une jeune femme de 18 ans. Elle se prostitue depuis l’âge de 13 ans. « Pour des cadeaux ». Pas forcément parce qu’elle n’en recevait pas. Simplement parce qu’elle n’a pas maîtrisé cette posture d’objet sexuel acquise trop tôt. Aujourd’hui, elle en a assez. Elle veut arrêter. A l’âge de cinq ans, elle a été abusée au sein du cercle familial. Personne n’a voulu la croire. Personne ne l’a soutenue. Il y a le « premier petit copain » violent, abusif, phénomène aggravé par les réseaux sociaux : une pipe filmée ne s’efface pas facilement. Le droit à l’oubli n’est pas toujours un acquis. Bien que je n’établisse aucune statistique, il s’agit surtout de violences familiales. Ce sont souvent des cousins, des oncles, des voisins qui venaient les garder enfants et qui les ont agressées sexuellement.

La plus jeune avait 12 ans.
Elle était en cinquième. Elle manquait les cours. Nous avons cherché à savoir pourquoi. Les passes devenaient trop nombreuses pour concilier les deux.

A quel milieu social appartiennent ces jeunes filles ?

A toutes les couches de la société.

J’ai eu l’occasion de suivre une jeune fille qui habitait rue de l’Université, dans le 7éme arrondissement de Paris. Beau quartier, beau lycée. Elle jouait de la harpe, au tennis et se prostituait. Elle a vécu un traumatisme avec son premier petit copain qui l’a obligée. Elle s’est sentie complétement dépossédée d’elle-même. Elle a donc continué de se prostituer, en conservant un espèce de distance. (Même les professionnelles parlent de ce phénoméme de fragmentation, de dissociation entre le physique et le mental). J’ai suivi, pendant le confinement, une jeune fille, en Master à Maastricht, tombée amoureuse d’un mec. Pour payer un voyage à Venise, il lui a proposé de se prostituer. Elle a accepté. Puisqu’elle a choisi les mecs, les montants, les lieux, les pratiques, – elle proposait même des contrats à ses clients – elles ne parlait pas de prostitution mais de michetonnage.

Comment expliquez-vous cela ? Cette atténuation des termes, du vocabulaire

Parce que c’est trop lourd à porter comme costume. Pour ces jeunes filles, une prostituée, c’est une nana dans la rue, droguée, qui tapine. Elles ne se reconnaissent pas dans ce schéma. Cela dit, la distanciation par le vocabulaire n’est pas propre à ces jeunes filles.

L’Histoire les a d’abord appelées courtisanes. Plus tard, des demi-mondaines ont fait fortune, ont possédé des hôtels particuliers. Ces jeunes filles préfèrent parler de michetonnage ou d’escorting. Parce qu’escort, c’est plus « chic ». C’est comme Zahia ou ces filles de la téléréalité. Elles ne veulent pas être une pute à 14 ans. Et puis, elles se disent que c’est transitoire.

Zahia, représente donc un exemple…

Elles la cite souvent. Récemment d’ailleurs, Zahia a joué dans un film, Une fille Facile. Dans une scène, elle explique très bien ce qu’est le michetonnage. Elle dit qu’elle « va à la rencontre d’hommes riches et que cela peut être très sympa ». Zahia revendique une liberté sexuelle. Elle dit « je choisis… ». Pour elle, pour ces filles, il s’agit de sortir de leurs conditions. Soit d’un milieu riche mais étriqué soit d’un milieu social compliqué.

Le côté glamour de ce phénomène…

Sans doute, aujourd’hui. Il faut tout de même se rappeler que Zahia a longtemps été suivie par les services de la protection de l’enfance, sa vie étant jalonnée de violences familiales, d’humiliations, d’agressions. Elle voulait en sortir. Elle a fréquenté les lieux qui lui ont permis de rencontrer des footballeurs. Le plus choquant, c’est que la société n’a rien dit.

Sous couvert d’une liberté sexuelle exprimée, affichée, la société n’a rien dit. Une position qui, à mon sens, dessert même les travailleurs du sexe qui en appellent à cette même liberté, la différence étant qu’eux sont majeurs, conscients. Dans notre société, il est tout à fait acceptable de réussir avec son cul. On ne pense pas toujours la prostitution comme il se devrait, sous l’angle de l’emprise, suivant le contexte psychologique, à la définition même de la liberté, à son sens.

Photo de cottonbro sur Pexels.com

Peut-on parler de plaisir chez ces jeunes femmes ?

Elles ne ressentent aucun plaisir, aucun désir : le sens ne fonctionne plus. Comme elles ne ressentent rien, entre ça et travailler MacDo, le choix est vite fait.

Toute idée d’une prostitution choisie est annulée…

Ce sont des mineure !

Chez les mineures, on ne peut pas être dans une prostitution choisie. On est vraiment dans quelque chose de très différent. Ces jeunes filles ne maîtrisent absolument pas le tourbillon dans lequel elles s’inscrivent, qui les mène, pas toutes mais certaines, dans un réseau prostitutionnel. Il n’existe pas une prostitution mais des prostitutions. Ces jeunes filles sont dans des échanges économico-sexuels : elles sont bien dans une forme de prostitution, la prostitution des enfants. Et la loi, en France, interdit la prostitution des mineurs, en ne les considérant pas comme des délinquantes mais comme des victimes.

Vous parliez de glissement vers une forme de délinquance, de quoi est-il question ?

Au bout d’un moment, quand elles en ont marre, leurs mecs, leur proxénètes, ceux dont elles subissent l’emprise, leur propose de « trouver deux copines, parce que tu vaux bien deux, toi… ». Elles choisissent une copine vulnérable, fragile, à laquelle elles expliquent « voilà, j’ai un bon plan pour te faire gagner du fric. Tu vas avec ce type. Tu lui fais une pipe. Il te file 50€… ». Le fait est qu’une fois qu’elles entraînent une copine, elles deviennent proxénètes donc délinquantes. D’autres développent des troubles, des crises de violences, des colères qui entraînent des agressions.

« Traverser le hall d’hôtels de luxe, être saluée faisait du bien mais une fois dans la chambre, la porte fermée », elle se rappelle avoir eu très peur.
Comme ils payent, ils exigent d’en avoir pour leur argent.

Avez-vous pu dresser un profil-type de leur client ? Parlent-elles de leurs « échanges » ?

Ce sont, en général, de jeunes garçons, entre 18 et 30 ans. Elles ont aussi des clients beaucoup plus vieux. Ils sont de tous milieux.

J’ai reçu des jeunes femmes de la Maison de l’enfance, qui allaient michetonner en haut des Champs-Élysées, parce que les clients sont de riches étrangers. Une jeune femme de 17 ans, qui a commencé à 14 ans et demi, racontait cette clientèle qui paie bien – elle portait visons et sac Chanel – si ce n’est que ce qu’elle pouvait réclamer était extrêmement violent.

Une autre, Roumaine, venue rejoindre sa mère, gardienne d’un immeuble haussmannien, déçue de se trouver là, s’est mise à michetonner « comme une revanche sur les hommes, pour réussir là où sa mère n’a pas réussi… ». Elle aussi côtoyaient des clients extrêmement riches. Elle aussi décrit des activités sexuelles d’une extrême violence, de sodomies non préparées, non consenties aux soirées sado-maso glauques. « Traverser le hall d’hôtels de luxe, être saluée faisait du bien mais une fois dans la chambre, la porte fermée », elle se rappelle avoir eu très peur. Comme ils payent, ils exigent d’en avoir pour leur argent. Insultes, passage à tabac : les plus jeunes, abreuvés de porno, essaient de reproduire ce qu’ils ont vu. On tombe alors dans des actes terribles, des gestes qui abîment…

Est-ce un phénomène qui va grandissant, selon vous ?

Je crois qu’on le voit plus parle que l’on en parle plus. Je ne suis pas sûre qu’il y en ait plus qu’avant. Aujourd’hui, on repère plus facilement ces jeunes filles. Les professionnels qui y sont confrontés sont beaucoup plus et beaucoup mieux formés: policiers, magistrats, enseignants et autre personnels scolaires, médecins, soignants. Mieux les professionnels sont équipés, moins passeront de violences sexuelles.

Comment en sortent-elles ? En quoi consiste la thérapie ?

Mon travail est, d’abord, de leur faire comprendre qu’il s’agit bien de prostitution, qu’il n’y a rien de choisi dans cette relation, que la récompense, peu importe son importance, est la rétribution d’un acte sexuel. Il n’y a donc aucune différence entre ce qu’elles nomment « une pute » et une michetonneuse. Il s’agit ensuite de les amener au traumatisme originel, à la fracture pour les aider, enfin, à retrouver l’estime d’elle-même. Elles sont dirigées vers une thérapie en psychotrauma, il n’y a que comme cela qu’elles s’en sortent. Elles vivent souvent dans des foyers de l’enfance. Je travaille beaucoup avec la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). L’Éducation nationale peut m’appeler également tout comme l’association Agir contre la prostitution des enfants.

Claude Giordanella

Redéfinir la sexualité, la liberté : l’autre grande question est l’éducation, celle des garçons notamment…

Aujourd’hui encore, malheureusement, la femme est perçue comme un objet sexuel. Les garçons doivent apprendre que l’objet sexuel, ce n’est pas la femme mais la relation qui se lie entre deux personnes. Il faut reposer la question du désir, celui que propose la société, celui qui vient de soi, celui qui naît entre deux personnes.

On fait croire aux jeunes hommes que le désir, la sexualité est un besoin. Or, il n’y a pas de besoin sexuel. On ne meurt pas de ne pas avoir de relations sexuelles. Sinon, nous serions tous morts ! On leur fait croire que l’on ne peut pas maîtriser une érection. Ce n’est pas vrai : une érection se maîtrise, comme tout le reste. Parce que la sexualité, c’est la tête et le corps.

On a encore une grosse marge de progression sur l’éducation des garçons : ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont. Il leur manque des pistes de réflexion. Il leur manque des outils. Ils leur manque des sensations. Ils leurs manque la considération des êtres humains en face d’eux. Dés la maternelle, les enfants devraient apprendre le respect de leur corps.

On fait croire aux jeunes hommes que le désir, la sexualité est un besoin. Or, il n’y a pas de besoin sexuel.
On ne meurt pas de ne pas avoir de relations sexuelles. Sinon, nous serions tous morts !

Pour le reste, la contraception, la possibilité d’avortement ont aidé les femmes à avoir une certaine sécurité, une certaine liberté sexuelle. Mais la femme reste objet sexuel. Il faudrait revoir la notion de liberté afin qu’elle rejoignent, au plus tôt les notion de qualité, d’estime de soi et, surtout, de bien-être.

Entre 6000 et 8000 jeunes filles seraient concernées.
Le gouvernement a annoncé la création d’un groupe pluridisciplinaire de réflexion sur la prostitution enfantine installé pour six mois, à compter du mercredi 30 septembre, dans les locaux du secrétariat d’État à l’enfance et aux familles. Il sera piloté par la Direction générale de la cohésion sociale et par la direction de la Protection judiciaire de la jeunesse
(Le Monde).

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