Pleurer d’amour, jamais de chagrin – épisode 4- La beauté

Dans la famille des idées reçues, je demande la carte ‘les jolies filles sont plus chanceuses en amour‘ pour la jeter au rebut. Elles ont sans doute, tout comme les beaux garçons, plus de chances d’entrer en relation. Pour le reste, plus on est beau, plus on aime, rien n’est plus faux. Sauf peut-être… sur Tinder où le reste n’est pas l’essentiel. L’essentiel est l’image. Plus on est beau, plus on est aimé. Plus on est aimé, plus on ‘matche’. Plus on ‘matche’, plus on a de chances de rencontrer le grand amour.

« La beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer jusqu’à l’âme »
(Simone Weil)

Mais à la fin, et la beauté physique ne changera rien à l’affaire: c’est vous ou ça ne l’est pas. L’étincelle ne s’invente pas. Elle ne se calcule pas. Elle prend ou elle ne prend pas. « La beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer jusqu’à l’âme » (Simone Weil). Elle n’est qu’un moyen. Elle n’est qu’une voie. Elle n’est qu’un biais. Elle n’est qu’une excuse.  Elle ne crée pas. Elle n’invente pas. Elle ne peut rien de plus. Ce qui se crée, ce qui se devrait, n’a rien à voir avec cela. Cela n’a rien à faire du préconçu. Rien à faire de la marchandise ou du marchandage. Tout cela est, un point, c’est tout. Et on aura beau la faciliter à l’extrême, rien n’y fera : l’étincelle ne sera que lorsqu’elle le souhaitera, quand elle voudra, quand il faudra et cela restera la beauté, la magie de la rencontre.

Il faut que je te lise un morceau du plus bel ouvrage de rupture que j’ai lu jusqu’ici. Il est beau parce que le temps a fait son œuvre, qu’il s’est écrit à froid, avec distance, sans colère ni rancœur, sans violence ni ressentiment, une fois le feu de la passion devenu cette flammèche qui réchauffe l’âme et le cœur un peu fatigués, pour leur permettre d’aimer mieux, d’aimer encore.

Elle et lui, de George Sand.

Voilà :

« Pour le moment il était las de l’amour élevé, et aspirait de tout son être aux funestes enivrements du passé. C’était le châtiment de la mauvaise voie qu’il avait prise en entrant dans la vie, châtiment bien cruel sans doute, et dont on conçoit qu’il se plaignît avec énergie, lui qui n’avait rien prémédité et qui s’était jeté en riant dans un abîme d’où il croyait pouvoir aisément sortir quand il voudrait.

Mais l’amour est régi par un code qui semble reposer, comme les codes sociaux, sur cette terrible formule : Nul n’est censé ignorer la loi ! Tant pis pour ceux qui l’ignorent en effet ! Que l’enfant se jette dans les griffes de la panthère, croyant pouvoir la caresser : la panthère ne tiendra compte de cette innocence ; elle dévorera l’enfant, parce qu’il ne dépend pas d’elle de l’épargner. Ainsi des poisons, ainsi de la foudre, ainsi du vice, agents aveugles de la loi fatale que l’homme doit connaître ou subir. »

Qu’avais-tu prémédité ?

« Vous n’entrez pas en relation comme nous autres y entrons: en terre inconnue…« 

Avais-tu prémédité de ne rien donner, de profiter d’un agréable moment, de prendre ce qui te conviendrait ? De ne pas trop donner ou  juste ce qu’il faut, pour entretenir les braises ? Tout juste ce qu’il faut pour calmer les craintes, rassurer l’instinct de conservation, t’assurer la tranquillité, le temps du passage ?

Qu’avais-tu prévu ?

Je crois que tout était prémédité. Je crois que tu savais, ce soir-là, ne pas pouvoir – ne pas devoir – dépasser une certaine limite. Je crois que toi, et tous ceux de ta race, savent dès la première minute, qu’ils s’engagent en terrain glissant. Vous n’entrez pas en relation comme nous autres y entrons: en terre inconnue. Vous arrivez fixés, figés dans ce que vous envisagez de donner, ce qu’il sera probable de concéder, ce qu’il est absolument hors de question de dépasser. Je ne peux m’empêcher de penser que, arrivant avec si peu, tu sous-estimes/mésestimes ta/ton partenaire.

Tu la/le poses d’emblée comme plus faible que toi. Il m’est difficile de croire, vus les cadavres d’amours qui jalonnent ma vie amicale, que votre race ne voit une certaine faiblesse en l’autre, femme généralement, femme seule en particulier.

Toi et les tiens les croyez  prêtes à tout, même à se contenter de si peu, de rien pour revenir dans la norme, être en couple, n’être plus seules et ainsi sortir de la statistique. D’autant que, passé un certain âge – on y revient – les chances d’être en couple s’amenuisent, elles accepteront tout, même rien, pourvu de n’être plus seules.

 » ... L’idéal, dans un monde au tout semble aller à vau-l’eau est l’égal de l’espoir dans la boîte de Pandore : c’est tout ce qui reste « .

Je crois que tu ne comprends pas que la solitude est devenue un moindre mal si la relation, l’instant, le moment sont dépourvus de beauté. C’est-à-dire de la richesse de l’autre ouvert à la surprise, à « la chute » que tant d’autres avant moi ont défini comme extraordinaire. A l’amour en somme, même édulcoré, même très clair, mais l’amour, quand même. D’ici et de plus loin, les personnes seules, notamment lorsqu’elles ont passé un certain âge, un certain nombre de vies, quêtent plus encore l’idéal, le beau. Jeunes, elles l’imaginent et lui laissent un temps le champ d’exister. Plus tard, elles l’exigent, sans concession ni patience.

Elles veulent de la beauté. Il en va de même pour eux.

Tandis que l’on croit que tout est foutu, celles et ceux qui, comme toi, envisagent l’alliance suivant cet angle-là, se trompent complètement. Parce que l’idéal, dans un monde au tout semble aller à vau-l’eau est l’égal de l’espoir dans la boîte de Pandore : c’est tout ce qui reste.

La beauté de la relation. Voilà tout ce qui prime. Voilà ce qui imprime l’envie de rester ou ce qui le devrait. Et il n’y a rien de révolutionnaire à cela. Le monde est assez compliqué, bien trop raisonnable pour chercher autre chose dans la relation avec l’autre que la beauté.

Le pathétique est sans doute dans la croyance que la souffrance est l’amour et que l’amour est souffrance.

Alors oui, il semble pour certain que le mariage d’amour soit sur la fin, que le couple soit d’un autre temps. Pathétique pensent-ils, «  cette population avide de renouveau, (…) la tribu des retraités survitaminés (deux catégories de couple se désintègrent en France, les très jeunes et les plus de 50 ans) » (Pascal Bruckner, Le mariage d’amour a-t-il échoué?) Pathétique peut-être. Ou pas. Peut-être est-ce de ne plus croire en rien qui est pathétique. Le pathétique est sans doute dans la croyance que la souffrance est l’amour et que l’amour est souffrance.

Le couple en voie de disparition ?

Les célibataires avec lesquels j’ai pu m’entretenir ne m’ont pas fait cette impression-là. Ils confirment plutôt : « Je ne me suis pas fait chier dans un couple 30 ans pour recommencer ». Voilà ce que j’ai le plus souvent entendu. Avec « Si je dois être en couple un jour, autant que ce soit beau ». La beauté.

L’étincelle, le truc, le fluide, le flux : voilà pourquoi certains partent. Voilà pourquoi d’autres restent. Voilà ce que tuent ceux de ta race. Voilà ce qui vous foulez au pied. Voilà le crime.

Comment feras-tu pour passer outre tout cela ?

(…)

3 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Aldor dit :

    Merci, Dominique, pour cette citation de Simone Weil que j’avais ratée à la lecture de La pesanteur et la grâce. Et merci pour le reste.

    Et de qui est : « Vous n’entrez pas en relation comme nous autres y entrons: en terre inconnue… » ?

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  2. Dominique dit :

    Merci à vous de me lire aussi fidèlement. La citation est de moi. Je suis heureuse qu’elle vous plaise. Excellente journée !

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